Libéria : quand la ruée vers le cacao conduit à la déforestation

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En 2018, le président libérien George Weah, ancien footballeur, et son homologue burkinabé de l’époque, Roch Marc Christian Kabore, ont conclu un accord visant à faciliter la migration des Burkinabés au Liberia pour travailler dans le secteur agricole. Cette initiative a fortement contribué à accélérer le boom de la culture du cacao, qui avait débuté en 2016, dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, peuplé de cinq millions d’habitants.

Cependant, si le Liberia suit la tendance observée au cours des quatre derniers siècles, ce boom, auquel nos recherches récentes se sont intéressées, pourrait prendre une ampleur incontrôlable et entraîner une déforestation systématique, encore insuffisamment reconnue dans l’Est du pays, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire.

Plusieurs signes indiquent que cette situation est en train de se produire. En effet, l’économie de la culture du cacao repose sur d’importantes migrations, principalement composées de jeunes hommes peu ou pas scolarisés. Parmi ces migrants, 88 % viennent du Burkina Faso, tandis que seulement 7 % ont la nationalité ivoirienne, et 5 % sont originaires du Mali, de la Guinée et d’autres pays.

Le Liberia a été le théâtre de deux guerres civiles, la première de 1989 à 1996, puis la seconde de 1999 à 2003. Ces conflits ont entraîné l’émigration de Libériens et de Libériennes vers la Côte d’Ivoire, établissant ainsi des liens entre les réfugiés et certaines communautés, notamment les Burkinabés. Pendant leur séjour en Côte d’Ivoire, ils ont également eu l’occasion d’apprendre la langue française, ce qui a facilité leur interaction avec les travailleurs agricoles.

En 2002, alors que la crise au Liberia semblait se résorber, une rébellion a éclaté en Côte d’Ivoire, poussant des Burkinabés et des Ivoiriens à fuir vers le Liberia. Ces réfugiés ont cultivé des champs de riz et de maïs pour survivre, mais ils ont aussi découvert la richesse des sols forestiers du Liberia, largement inexploités.

Les premières demandes de terres ont été adressées aux villageois libériens, car les terres devenaient de plus en plus rares en Côte d’Ivoire. Ces demandes ont été largement acceptées par les autochtones libériens, qui avaient observé le succès des Burkinabés en Côte d’Ivoire en tant que main-d’œuvre agricole. Ce boom au Liberia bénéficie également de l’expérience considérable des migrants, acquise notamment en Côte d’Ivoire. Dans notre récente étude, 66 % des migrants avaient déjà leur propre plantation en Côte d’Ivoire (avec une médiane de 3 hectares) et 25 % étaient les fils ou frères de planteurs.

Au Liberia, la plupart de ces migrants obtiennent 10 hectares de forêt, principalement par le biais d’un contrat de « planter-partager ». Dans ce système, l’autochtone libérien concède 10 hectares de forêt au migrant en échange de son engagement à planter entièrement des cacaoyers. Lorsque la plantation entre en production, les terres sont partagées, avec 6 hectares pour le migrant et 4 hectares pour le propriétaire initial.

En d’autres termes, mis à part un modeste cadeau et une éventuelle commission à un intermédiaire, les migrants accèdent à la forêt sans besoin de capital. Certains d’entre eux en profitent pour acquérir des surfaces plus importantes et les rétrocèdent dans de nouveaux contrats de planter-partager. Dans tous les cas, cet accès aisé à la forêt est l’un des facteurs universels qui expliquent la vigueur des booms cacao depuis quatre siècles.

La source d’information principalement utilisée par les planteurs est également typique des booms cacao : les réseaux familiaux, qui transmettent rapidement les informations, ont joué un rôle moteur dans le développement de la filière.

Dans un petit roman, l’écrivain ivoirien Venance Konan a illustré de manière poignante l’indomptable dynamisme des migrants burkinabés face à une forêt qu’ils voient comme une future plantation de cacao. Avec leur accent local, ils sont comparés par les autochtones à de véritables « catapila » (chenilles en français). Pour accéder à cette ressource économique, ils s’installent au Liberia, parfois au péril de leur vie. Ils traversent notamment en pirogue le fleuve Cavally, qui marque la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Liberia, alors qu’ils ne savent pas nager.

En conclusion, les conflits en Afrique de l’Ouest ont engendré des migrations pré-cacaoyères et des mouvements de populations. Tous les éléments d’un puissant boom cacao se sont ainsi réunis au Liberia. Il pourrait maintenant s’accélérer par effet d’imitation à travers les réseaux de migration, sans oublier l’impact du manque de terres et du vieillissement des vergers en Côte d’Ivoire.

Toute action visant à contrôler la déforestation en Côte d’Ivoire risque d’accélérer les migrations et la déforestation au Liberia. De plus, il semble désormais difficile de convaincre un pays souverain qu’il ne peut pas suivre un scénario largement adopté par les autres pays producteurs de cacao.

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