À Cayar, depuis des années, les femmes qui transforment le poisson subissent les conséquences de la diminution des ressources halieutiques. Mais maintenant, leur activité est de plus en plus menacée par l’établissement de l’usine de farine de poisson « Touba Protéine Marine ». Elles sont en colère.
Des tables aux pieds érodés attendent des occupants. Un espace désert, brûlant sous les rayons du soleil… À Cayar, les femmes transformant le poisson vivent dans la crainte et l’anxiété. Maty Ndao se souvient des jours où la vente de produits transformés la rendait heureuse. Assise près de deux amies, entourée de trois bassines vides sur une natte, elle reste plongée dans ses souvenirs et scrute l’horizon, évoquant les jours passés.
Il y a la rareté du poisson, mais il y a aussi la concurrence des usines de farine de poisson. « Depuis que l’usine Barna (maintenant Touba Protéine Marine depuis 2018) s’est installée, nous n’arrivons plus à trouver du poisson. Même pour les déchets que nous achetions dans les usines, nous sommes maintenant confrontées à la concurrence de ‘Barna’, qui a plus de moyens que nous. Certains pêcheurs, complices, ne vont en mer que pour Barna, qui paie le double du prix habituel », se lamente Mme Ndao, son visage marqué par les rides.
La commune de Cayar, dans le département de Thiès, se situe au sud de la grande côte sénégalaise, à 58 km au nord-est de Dakar. Sur leur site où l’odeur de la mer et des poissons gâtés rend la respiration difficile, l’activité des transformateurs de poisson ralentit. Sauf pour Ndèye Diène, qui traite des dizaines de jeunes espèces – se battant pour ne pas mourir dans un panier – pour en faire du ‘keccax’ (poisson fumé). Son visage pâle montre les effets du contact avec le sel.
Sous une tente artisanale, percée par le soleil, la quinquagénaire se défend : « Je ne trouve que de petites espèces car je ne vois plus de sardinelle (yaboy) et les déchets sont directement achetés par l’usine de farine de poisson. Aujourd’hui, cela me rapporte entre 1000 et 2000 FCFA. Mais il peut y avoir des jours sans activité ».
La détresse est visible sur les visages dans cet espace où les femmes se rassemblent près de la mer. Les toiles et les filets sur les étals montrent une réalité : les temps sont durs. « Nous sommes 325 femmes à travailler ici, mais nous ne trouvons plus de poisson à transformer. 80% d’entre nous sont au chômage », alerte Maty Ndao, qui a des commandes dans la sous-région, surtout au Burkina Faso. Mais elle est désormais condamnée à regarder la mer et ses mouvements, à la recherche d’une pirogue qui pourrait lui venir en aide.
Les femmes transformant le poisson à Cayar rencontrent des difficultés. « Les usines nous tuent à petit feu. Leur concurrence est rude, insoutenable. Je ne peux pas acheter une caisse de sardinelle à 40 000 FCFA », explique Ndèye Fatou Ndiaye, avec un air désolé. Pour elles, c’est désormais la survie au jour le jour. Une lutte quotidienne rendue plus difficile par les anciens vendeurs qui traitent désormais directement avec les gérants des usines de farine de poisson.
« Je vais en mer uniquement pour les usines de farine de poisson car je peux leur vendre une caisse de sardinelle à 42 000 FCFA », se réjouit Mame Mor Tine, un pêcheur originaire de Joal, actuellement à Cayar. En écho, le mareyeur Badou Seck ajoute : « Les usines payent bien. Les femmes transformant le poisson sont dans la négociation, les usines déboursent de l’argent. Avant, je vendais mes poissons aux usines de transformation de poisson frais et les déchets étaient jetés. Maintenant, je vends les déchets aux usines de farine. Donc, je gagne deux fois plus », explique-t-il, au grand désarroi des femmes transformant le poisson.
Le Collectif Taxawu Cayar est déterminé à fermer l’usine Barna. Des marches, des sit-in et des plaintes sont organisés pour ça. À l’entrée de Cayar, près de la station Edk, l’usine de farine de poisson se dresse sur une terre quasi inhabitable. Les quelques bâtiments qui l’entourent peinent à cohabiter depuis 2018, année de l’installation de cette infrastructure destinée à nourrir des espèces aquacoles et des animaux. Les villageois doivent supporter les odeurs depuis des années.
À Cayar, le froid pointe son nez en cette fin de novembre 2023 et les habitants sont contraints de supporter les odeurs désagréables qui émanent de l’usine de farine de poisson « Touba Protéine Marine », anciennement Barna. Mbawane, Keur Abdou Ndoye et Ndiokhob Gouye Mouride sont les quartiers les plus touchés par les odeurs pestilentielles. Les habitants n’en peuvent plus, ils appellent l’État à intervenir.